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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_681/2023  
 
 
Arrêt du 27 juin 2024  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
Hurni et Hofmann 
Greffière : Mme Kropf. 
 
Participants à la procédure 
A.________ Ltd (en liquidation), 
représentée par Maîtres Garen Ucari et Olivier Wehrli avocats, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Ordonnance de classement; droit d'être entendu; déni de justice, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 4 mai 2023 (P/2498/2022 - ACPR/316/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 1er février 2022, B.________ a déposé une plainte pénale contre C.________, D.________, E.________ et F.________ pour abus de confiance et blanchiment d'argent. Elle leur reprochait notamment d'avoir disposé sans droit des titres qu'elle avait déposés auprès de C.________ - société sous contrôle a priori des trois mis en cause précités -, en particulier en les transférant à son insu à des sous-dépositaires, en "participant" à leur nantissement en faveur de A.________ Ltd et en les vendant pour partie; E.________ et F.________ auraient ainsi, par le biais de C.________, acquis A.________ Ltd et celle-ci aurait prêté pour ce faire les fonds nécessaires à celle-là, laquelle lui aurait alors remis en nantissement les avoirs de la partie plaignante.  
 
A.b. Par ordonnance du 16 février 2022, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après : le Ministère public) a ordonné le séquestre du compte détenu par A.________ Ltd (USD 24 millions) auprès de la banque G.________ & Cie SA, à U.________ (Suisse).  
 
B.  
 
B.a. Par ordonnance du 13 décembre 2022, le Ministère public a classé la procédure pénale, considérant en substance qu'il n'y avait pas de for en Suisse; le transfert des titres de B.________ par la société administrée notamment par les prévenus E.________ et D.________ à A.________ Ltd était intervenu à l'étranger et rien n'attestait que les titres de la partie plaignante auraient été déposés à la banque G.________ & Cie SA, respectivement nantis en garantie du prêt consenti par A.________ Ltd à C.________. L'issue du litige imposait aussi la levée du séquestre portant sur le compte détenu par A.________ Ltd auprès de la banque G.________ & Cie SA.  
 
B.b. Par arrêt du 4 mai 2023, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après : la Chambre pénale de recours) a admis le recours formé par B.________ contre cette ordonnance, l'a annulée et a renvoyé la cause au Ministère public pour qu'il continue l'instruction. Elle a également ordonné le maintien du séquestre portant sur le compte détenu par A.________ Ltd auprès de la banque G.________ & Cie SA.  
 
 
C.  
Par acte du 2 juin 2023, A.________ Ltd (en liquidation) forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente en lui enjoignant de lui remettre des copies des actes déposés le 23 décembre 2022 par B.________ devant la Chambre pénale de recours, de toutes les pièces déposées par les parties à la procédure cantonale de recours et de tout autre document du dossier P/2498/2022 qui lui permettrait d'exercer convenablement son droit d'être entendue, ainsi que de lui octroyer un délai suffisant pour formuler ses observations une fois les pièces précitées reçues. À titre subsidiaire, elle demande l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. 
Si la cour cantonale a produit son dossier, il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. L'arrêt attaqué relatif à un classement est un prononcé rendu en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. Vu le renvoi de la cause au Ministère public et le maintien du séquestre ordonné, il ne met cependant pas un terme à la procédure pénale et est donc de nature incidente.  
 
1.2. Un prononcé relatif à un séquestre expose généralement à un risque de préjudice irréparable le titulaire des avoirs ou objets saisis, qui se trouve privé de leur libre disposition (cf. art. 93 al. 1 let. a LTF; ATF 128 I 129 consid. 1). Pour ce même motif, celui-ci dispose généralement d'un intérêt juridique à obtenir l'annulation ou la modification de l'arrêt entrepris (cf. art. 81 al. 1 let. a et b LTF; ATF 133 IV 278 consid. 1.3; arrêt 7B_191/2023 du 14 mars 2024 consid. 1.1 et les arrêts cités).  
En l'occurrence, il n'est certes pas établi dans l'arrêt attaqué que la recourante serait la titulaire du compte litigieux. Celle-ci se plaint cependant avant tout de n'avoir pas pu, en tant que prétendu tiers saisi (cf. art. 105 al. 1 let. f CPP), participer à la procédure cantonale de recours (cf. art. 81 al. 1 let. a LTF). À l'appui de ses griefs, elle soutient en particulier avoir déposé, au cours de la procédure cantonale de recours ayant abouti à l'arrêt attaqué, des requêtes sollicitant le droit d'y participer; or l'autorité précédente n'aurait pas statué sur ses demandes. Comme elle se plaint ainsi de violations de ses droits de procédure équivalant en soi à un déni de justice (ATF 141 IV 1 consid. 1.1; 138 IV 78 consid. 1.3), la qualité pour recourir doit lui être reconnue. Il y a par ailleurs lieu d'admettre l'existence d'un risque de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF dès lors que la recourante se trouve privée de la possibilité de faire reconnaître son statut, de se prévaloir dès lors des droits y relatifs et de soulever ses griefs pour obtenir la confirmation de l'ordonnance du Ministère public levant le séquestre sur ses prétendus avoirs. 
 
1.3. Partant, il y a lieu d'entrer en matière sur le recours, qui a également été déposé en temps utile (cf. art. 100 al. 1 LTF) et dont les conclusions, qui ne tendent pas à la réforme de l'arrêt attaqué, sont recevables dans le cas de l'espèce (cf. art. 107 al. 2 LTF).  
 
2.  
 
2.1. La recourante se plaint d'un déni de justice et de violations de son droit d'être entendue. À l'appui de ses griefs, elle soutient notamment avoir le statut de tiers touché par un acte de procédure (cf. art. 105 al. 1 let. f CPP), lequel aurait donc dû conduire l'autorité précédente à lui reconnaître le droit de participer à la procédure cantonale de recours contre l'ordonnance du Ministère public qui avait notamment levé le séquestre portant sur ses avoirs. Elle reproche également à la cour cantonale de n'avoir pas donné suite à ses courriers du 9 et du 20 mars 2023, lesquels tendaient à obtenir un droit de participer à cette procédure.  
 
2.2.  
 
2.2.1. L'autorité qui ne traite pas un grief relevant de sa compétence, motivé de façon suffisante et pertinent pour l'issue du litige, commet un déni de justice formel proscrit par l'art. 29 al. 1 Cst. (ATF 142 II 154 consid. 4.2; arrêt 7B_482/2024 du 21 mai 2024 consid. 2.2.1).  
 
2.2.2. Une autorité viole en revanche le droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. lorsqu'elle ne respecte pas son obligation de motiver ses décisions afin que le justiciable puisse les comprendre et exercer ses droits de recours à bon escient (ATF 142 II 154 consid. 4.2; arrêt 7B_430/2024 du 6 mai 2024 consid. 4.2.2). Pour satisfaire à cette exigence, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision (ATF 148 III 30 consid. 3.1; 147 IV 409 consid. 5.3.4), de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3). Elle n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 147 IV 249 consid. 2.4 et les arrêts cités). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt 7B_661/2023 du 21 mai 2024 consid. 2.2).  
Le droit d'être entendu comprend également le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 146 IV 218 consid. 3.1.1 et les arrêts cités). 
 
2.2.3. Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit en principe entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1).  
 
2.3. En l'espèce, il doit tout d'abord être constaté que les courriers du 9 et du 20 mars 2023 dont se prévaut la recourante figurent effectivement dans le dossier cantonal produit dans la présente cause (cf. art. 105 al. 2 LTF). Les timbres et les mentions manuscrites apposés sur chacun de ces courriers attestent ensuite qu'ils ont été reçus antérieurement à l'arrêt attaqué; le greffe de l'autorité précédente a ainsi réceptionné le courrier du 9 mars 2023 à 09h30, respectivement celui du 20 mars 2023 à 10h05. Enfin, leur contenu - par renvoi dans le courrier du 20 mars 2023 à celui du 9 mars 2023 - tend à obtenir un droit de participer à la procédure cantonale de recours ("Dans la mesure où ce classement peut entraîner la levée des mesures de blocage visant les avoirs de notre mandante [à savoir A.________ Ltd (en liquidation)], cette dernière souhaite pouvoir recevoir une copie du recours et de ses pièces afin de pouvoir se prononcer à son sujet").  
Or on ne trouve au dossier ou dans l'arrêt attaqué aucun élément qui permettrait de comprendre quelles ont été les suites données à ces requêtes. En particulier, rien ne permet de discerner quels seraient les motifs retenus par l'autorité cantonale pour considérer que la recourante - qui ne s'est certes a priori pas manifestée antérieurement en lien avec le séquestre litigieux - n'aurait pas le statut de tiers touché par un acte de procédure (cf. art. 105 al. 1 let. f CPP; sur cette notion, voir ATF 145 IV 161 consid. 3.1 et les arrêts cités; arrêt 6B_1004/2022 du 23 mai 2023 consid. 3.1.2) et ne disposerait par conséquent d'aucun droit de participer à la procédure cantonale de recours pour défendre ses intérêts dans les limites de l'art. 105 al. 2 CPP. On ne saurait en particulier considérer que l'issue du litige devant l'autorité précédente constituerait une motivation implicite, puisqu'il en découle l'annulation de la levée du séquestre litigieux, qui a pour conséquence que l'éventuel titulaire des avoirs concernés - qualité dont se prévaut la recourante - voit ainsi sa position péjorée.  
 
2.4. Sur le vu de ce qui précède, la Chambre pénale de recours a commis un déni de justice, respectivement a violé le droit d'être entendue de la recourante, en rendant l'arrêt attaqué sans avoir statué sur les requêtes des 9 et 20 mars 2023 ou motivé un éventuel rejet de celles-ci dans les considérants de sa décision.  
 
3.  
Il s'ensuit que le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé. La cause sera renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle examine les requêtes des 9 et 20 mars 2023, reprenne, le cas échéant, l'instruction du recours cantonal en garantissant à l'ensemble des parties qui devraient être admises à cette procédure de recours leur droit d'être entendues - dans les limites du statut accordé -, puis rende une nouvelle décision. 
Au regard de la nature procédurale du vice examiné et dans la mesure où le Tribunal fédéral n'a pas traité la cause sur le fond (soit le statut de la recourante, son éventuel droit de participer à la procédure cantonale de recours ou les conditions permettant le maintien du séquestre), il ne préjuge ainsi pas de l'issue de celle-ci. Il peut par conséquent être procédé au renvoi sans ordonner préalablement un échange d'écritures (cf. ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2; arrêts 6B_1098/2023 du 18 avril 2024 consid. 2; 7B_232/2023 du 6 février 2024 consid. 3). 
Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF). La recourante, qui obtient gain de cause avec l'assistance de mandataires professionnels, a droit à une indemnité de dépens (cf. art. 68 al. 1 LTF), laquelle sera mise à la charge du canton de Genève (arrêts 6B_1098/2023 du 18 avril 2024 consid. 3; 6B_706/2023 du 15 avril 2024 consid. 3; 6B_1101/2023 du 18 mars 2024 consid. 2). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt du 4 mai 2023 de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle procède au sens des considérants. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Une indemnité de dépens, fixée à 2'500 fr., est allouée à la recourante, à la charge de la République et canton de Genève. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 27 juin 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
La Greffière : Kropf