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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_618/2024  
 
 
Arrêt du 25 juin 2024  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
Koch et Hofmann. 
Greffière : Mme Schwab Eggs. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Leonardo Castro, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy. 
 
Objet 
Prolongation de la détention provisoire, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 2 mai 2024 (ACPR/318/2024 - P/17806/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, né en 1980 et d'origine polonaise, a été mis en prévention par le Ministère public les 15 août et 25 septembre 2023 des chefs de meurtre (art. 111 CP), subsidiairement homicide par négligence (art. 117 CP), violation fondamentale des règles de la circulation routière (art. 90 al. 3 LCR), ainsi que conduite malgré une incapacité et violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool (art. 91 al. 2 let. a LCR).  
Il est en substance reproché à A.________ d'avoir, le 14 août 2023, vers 20h00, circulé au volant de son véhicule à une vitesse inadaptée aux circonstances - tronçon limité à 60 km/h avec interdiction de dépassement - et en état d'ébriété qualifiée (1.18 mg/l de taux d'alcool dans l'haleine). Après avoir fortement accéléré, il a réalisé le dépassement téméraire de trois véhicules - ce qui a mis en danger les occupants de ceux-ci -, a perdu la maîtrise de son véhicule et a percuté l'arrière du cycle de B.________ qui circulait normalement sur la piste cyclable. Ce dernier est décédé de ses blessures à l'hôpital le 16 août 2023 à 1h05. 
Lors de ses auditions par la police et le Ministère public le 15 août 2023, A.________ a reconnu avoir consommé massivement de l'alcool avant de prendre le volant. À l'audience du 5 décembre 2023, l'intéressé a expliqué qu'il circulait à 80-90 km/h au moment du seul dépassement dont il se souvenait. 
A.________ n'a pas freiné, que ce soit lors de la manoeuvre de dépassement ou au moment du choc. 
 
A.b. Le 14 août 2023, A.________ a été arrêté et placé en détention provisoire; celle-ci a ensuite été régulièrement prolongée.  
 
B.  
 
B.a. Par ordonnance du 8 avril 2024, le Tribunal des mesures de contraintes a ordonné la prolongation de la détention provisoire de A.________ jusqu'au 14 juillet 2024.  
 
B.b. Par arrêt du 2 mai 2024, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre pénale de recours) a rejeté le recours formé par A.________ contre l'ordonnance du 8 avril 2024.  
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 2 mai 2024. Il conclut à sa réforme en ce sens qu'il soit mis en liberté, éventuellement moyennant les mesures de substitution suivantes ou toutes autres mesures jugées utiles, à savoir en substance l'interdiction de quitter la Suisse, le dépôt des documents d'identité, le pointage hebdomadaire au poste de police, l'exercice d'une activité occupationnelle en Suisse, la poursuite d'un traitement psychologique, l'abstinence à l'alcool et la soumission à des contrôles, l'interdiction de prendre contact avec la famille de la victime et l'obligation de se présenter à toutes les convocations judiciaires. A titre subsidiaire, le recourant conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente. Il sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire. 
Invités à prendre position, la Chambre pénale de recours y a renoncé, tandis que le Ministère public a conclu au rejet du recours. Ces déterminations ont été transmises pour information à A.________. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP (ATF 137 IV 22 consid. 1). Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, le recourant, prévenu détenu, a qualité pour recourir; la décision attaquée, en tant que prononcé incident rendu en dernière instance cantonale (cf. art. 80 LTF), est susceptible de lui causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (arrêts 7B_386/2024 du 30 avril 2024 consid. 1; 7B_168/2024 du 4 mars 2024 consid. 1.1). Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité sont réunies. Il y a ainsi lieu d'entrer en matière.  
 
1.2. Dans le cadre d'un recours en matière pénale, le Tribunal fédéral contrôle l'application correcte par l'autorité cantonale du droit fédéral en vigueur au moment où celle-ci a statué (cf. art. 453 al. 1 CPP; ATF 145 IV 137 consid. 2.6 ss; 129 IV 49 consid. 5.3). La décision attaquée ayant été rendue le 2 mai 2024, les modifications du Code de procédure pénale entrées en vigueur au 1er janvier 2024 (RO 2023 468) doivent être prises en considération en l'espèce.  
 
2.  
Une mesure de détention provisoire ou pour des motifs de sûreté n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; art. 212 al. 3 et 237 al. 1 CPP). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un risque de fuite ou par un danger de collusion ou de réitération (cf. art. 221 al. 1 let. a, b et c et al. 1bis CPP). Préalablement à ces conditions, il doit exister des charges suffisantes, soit des indices sérieux de commission d'une infraction par l'intéressé (art. 221 al. 1 CPP). 
 
3.  
 
3.1. Le recourant ne remet pas en cause l'existence de charges suffisantes pesant sur lui. Il fait en revanche grief à l'autorité cantonale d'avoir retenu l'existence des risques de fuite et de récidive. Invoquant l'art. 36 al. 3 Cst., il soutient en outre que ces risques pourraient être palliés par les mesures de substitution proposées.  
 
3.2.  
 
3.2.1. Selon l'art. 221 al. 1 let. a CPP, la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté peuvent être ordonnées s'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu se soustraie à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en prenant la fuite. D'après la jurisprudence, le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit, ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible mais également probable. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 145 IV 503 consid. 2.2; arrêt 7B_571/2024 du 6 juin 2024 consid. 3.1.1).  
 
3.2.2. La Chambre pénale de recours a retenu en substance que le recourant avait des liens avec la Suisse. Cela étant, le risque de fuite était patent au vu de la peine et de l'expulsion obligatoire auxquelles le recourant s'exposait en cas de condamnation pour meurtre, ce qui ne saurait être exclu à ce stade de l'instruction. Le recourant avait manifestement conservé de fortes attaches dans son pays d'origine. Il y avait donc lieu de craindre qu'il y retourne et ne se présente pas aux futurs actes d'instruction, ni à l'audience de jugement, ce d'autant plus que le pays d'origine du recourant n'extradait pas ses ressortissants. Dans ces conditions, il importait peu que le recourant affirme qu'il serait désavantageux pour lui d'exécuter sa peine dans son pays d'origine plutôt qu'en Suisse.  
 
3.2.3. Ce raisonnement doit être confirmé.  
Le recourant ne conteste en effet pas les circonstances liées au grave accident de la circulation qui ont justifié son placement en détention provisoire (cf. arrêt attaqué consid. 2); il ne remet pas non plus en cause qu'il est exposé à une lourde peine privative de liberté et à une expulsion obligatoire au regard des charges qui pèsent sur lui (cf. arrêt attaqué consid. 3.2, 2 e paragraphe).  
Le recourant fait valoir que son lien avec la Suisse serait important et intense et se prévaut d'un repentir sincère et de son comportement au moment de l'accident. Ce faisant, il se base sur des faits qu'il allègue librement, dans un procédé purement appellatoire. Tel est notamment le cas lorsqu'il se réfère aux déclarations de deux témoins en lien avec son activité ou qu'il se rapporte à son comportement après l'accident. Cette argumentation est quoi qu'il en soit insuffisante à faire admettre que le risque de fuite ne serait pas réalisé. La cour cantonale a d'ailleurs retenu que le recourant avait manifesté des regrets et pouvait se prévaloir d'attaches en Suisse (permis de séjour valable et possibilité d'accueil par sa soeur). Ces attaches doivent cependant être relativisées dans la mesure où, selon les constatations cantonales, au moment de l'accident, le recourant logeait chez sa soeur depuis environ trois mois et avait deux "petits" emplois non déclarés; il avait auparavant exercé une activité saisonnière en Suisse, à raison de neuf mois par année, retournant dans l'intervalle dans son pays. Le recourant ne saurait à cet égard tirer argument de l'arrêt qu'il cite (arrêt 1B_388/2022 du 16 août 2022 consid. 3.3), les situations n'étant pas comparables. Au contraire du recourant, dans cet arrêt, le détenu disposait notamment d'attaches étroites avec la Suisse où il vivait depuis son enfance, soit depuis plus de quarante ans, bénéficiait d'un permis C et y avait des rapports réguliers avec sa famille, en particulier sa mère; il ne ressort au surplus pas de cet arrêt que le détenu aurait entretenu des liens avec son pays d'origine. 
En tout état, comme l'a retenu l'autorité précédente, indépendamment des liens tissés en Suisse, le recourant a conservé de fortes attaches dans son pays d'origine. Il y est chaque fois retourné dès son activité saisonnière terminée; durant l'épidémie de Covid-19, il y a d'ailleurs vécu et travaillé deux ans. Enfin, son père y vit toujours. C'est au demeurant sur l'impulsion de celui-ci que le recourant est revenu en Suisse pour trouver un emploi plus rémunérateur et y a finalement obtenu un permis de séjour B au mois d'août 2022; l'obtention de ce permis n'a d'ailleurs pas empêché le recourant de faire des allers et retours en Pologne au moment de l'accident. Enfin, bien qu'il soit dans l'intervalle divorcé, le recourant a précédemment été marié dans son pays (cf. arrêt attaqué let. j). Au vu de ces éléments, la cour cantonale n'a pas violé le droit en retenant que malgré des liens en Suisse et l'expression de regrets, le recourant disposait d'attaches fortes dans son pays d'origine. A cet égard, les éléments financiers allégués par le recourant - soutien de la soeur, droit aux prestations sociales et souhait de créer sa propre entreprise -, outre qu'ils sont largement appellatoires, ne permettent pas d'écarter le risque concret de fuite; au surplus, il résulte des constations cantonales que le recourant a encore récemment exercé une activité lucrative dans son pays. 
Ainsi, contrairement à ce que soutient le recourant, confronté à l'importante peine encourue et au risque d'expulsion obligatoire, il pourrait être tenté de se soustraire à la procédure pénale en se rendant dans son pays d'origine, dans lequel il dispose d'attaches solides. Il ne pourrait du reste pas en être extradé (cf. arrêt attaqué consid. 3.2). Au vu de ces éléments, la Chambre pénale de recours n'a pas violé le droit fédéral en retenant un danger de fuite concret. 
 
3.3. Ce motif particulier de détention étant donné, il n'est pas nécessaire, dans la procédure de recours devant le Tribunal fédéral, d'examiner également si d'autres motifs alternatifs de détention pourraient être remplis, comme le risque de récidive retenu par les autorités cantonales (cf. arrêts 7B_386/2024 du 30 avril 2024 consid. 2.3; 7B_1025/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.5.4; 7B_1013/2023 du 9 janvier 2024 consid. 4.5). Les griefs développés par le recourant en lien avec ce risque doivent dès lors être écartés.  
 
3.4.  
 
3.4.1. Conformément au principe de la proportionnalité ancré à l'art. 36 al. 3 Cst., il convient d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention. Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention. La liste de l'art. 237 al. 2 CPP est exemplative et le juge de la détention peut également, le cas échéant, assortir les mesures de substitution de toute condition propre à en garantir l'efficacité (ATF 145 IV 503 consid. 3.1).  
 
3.4.2. La Cour cantonale a écarté à juste titre les mesures de substitution proposées par le recourant. En effet, au regard des considérations qui précèdent et du bien juridique menacé, les mesures de substitution proposées par le recourant ne sont pas suffisantes pour pallier le risque de fuite. La saisie des documents d'identité n'est en effet pas suffisante pour parer ce risque, dès lors qu'il est aisé de se rendre sans de telles pièces en Pologne (cf. arrêts 7B_1011/2023 du 11 janvier 2024 consid. 5.3; 7B_464/2023 du 11 septembre 2023 consid. 5.2; 1B_61/2020 du 24 février 2020 consid. 3.3 et les arrêts cités), qui fait partie de l'espace Schengen. Il est en outre évident qu'une interdiction de quitter la Suisse, respectivement l'obligation de se présenter régulièrement à un poste de police ou de donner suite aux convocations judiciaires, ne sont pas non plus de nature à empêcher le risque de fuite existant. De même, on ne voit pas qu'une interdiction de prendre contact avec la famille de la victime préviendrait le danger de fuite; il en va également ainsi de la mise en oeuvre d'un suivi psychologique, de l'obligation d'abstinence ou de l'exercice d'une activité. Partant, les mesures de substitution passées en revue, même cumulées, ne permettraient pas de faire obstacle au danger de fuite retenu. Aucune autre mesure n'apparaît par ailleurs sérieusement envisageable. Enfin, le recourant ne saurait tirer argument de l'arrêt 1B_388/2022 (du 16 août 2022 consid. 4.2) dont il se prévaut; il y était en effet question d'un risque de fuite limité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.  
 
3.4.3. Enfin, du point de vue temporel, compte tenu de la gravité des infractions pour lesquelles le recourant a été mis en prévention et de la durée de la détention déjà subie, le principe de la proportionnalité demeure également respecté (art. 212 al. 3 CPP; cf. également ATF 143 IV 168 consid. 5.1; 142 IV 389 consid. 4.1), ce que le recourant ne conteste pas spécifiquement.  
 
4.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. 
Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF). Les conditions y relatives étant réunies, il y a lieu d'admettre cette requête et de désigner Me Leonardo Castro en tant qu'avocat d'office pour la procédure fédérale et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, qui sera supportée par la caisse du Tribunal fédéral (art. 64 al. 2 LTF). Le recourant est toutefois rendu attentif à son obligation de rembourser la caisse du Tribunal fédéral s'il retrouve ultérieurement une situation financière lui permettant de le faire (cf. art. 64 al. 4 LTF). Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
La requête d'assistance judiciaire est admise. 
 
2.1. Me Leonardo Castro est désigné comme avocat d'office du recourant et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.  
 
2.2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.  
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève, à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève et au Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 25 juin 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
La Greffière : Schwab Eggs