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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_276/2023  
 
 
Arrêt du 24 mai 2024  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Haag et Chaix. 
Greffière : Mme Rouiller. 
 
Participants à la procédure 
Patrimoine Suisse Genève, 
ruelle du Midi 10, case postale 3660, 1211 Genève 3, représenté par Me Alain Maunoir, avocat, Etude Mentha Avocats, rue de l'Athénée 4, 1205 Genève, 
recourant, 
 
contre  
 
E.________, 
représentée par Me François Bellanger, avocat, 
intimée, 
 
Département du territoire de la République et canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques, case postale 22, 1211 Genève 8. 
 
Objet 
Autorisations de démolir et de construire, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 25 avril 2023 (ATA/436/2023 - A/3088/2020-LCI). 
 
 
Faits :  
 
A.  
E.________ (ci-après: la propriétaire) est propriétaire des parcelles n os 377, 378, 379 et 380 de la commune de Lancy (GE). Sises en zone de développement 3, avec une zone de fond 5, ces parcelles forment un triangle d'une surface totale de 10'900 m 2. Elles supportent trois immeubles de 8 logements chacun et une villa (bâtiments n os A548, A555, A553 et A551), qui forment un ensemble résidentiel construit entre 1931 et 1933.  
Les parcelles sont sises dans le périmètre du plan localisé de quartier n o 27'457 (ci-après: PLQ), adopté par le Conseil d'État le 13 janvier 1982. Le PLQ précise que l'aménagement du secteur D, sur lequel se trouvent les 4 parcelles susmentionnées, sera défini ultérieurement; il prévoit toutefois une surface de plancher de maximum 20'487 m 2.  
 
B.  
 
B.a. Dans le cadre du recensement architectural et des sites du canton de Genève établi entre 1991 et 1993, la valeur "monument et bâtiment exceptionnel et leurs abords" a été attribuée aux bâtiments précités.  
En 2018, dans le cadre du recensement architectural du canton de Genève 2015-2023, les bâtiments ont été qualifiés d'"intéressants". 
 
B.b. En octobre 2020, l'association Patrimoine Suisse Genève, section cantonale de Patrimoine Suisse, a demandé l'inscription des bâtiments n os A548, A555, A553 et A551 à l'inventaire des bâtiments du canton de Genève, au sens des art. 7 ss de la loi genevoise du 4 juin 1976 sur la protection des monuments, de la nature et des sites (LPMNS/GE; RS GE L 4 05; cf. cause 1C_274/2023).  
En mars 2021, l'association Action Patrimoine Vivant a demandé le classement du bâtiment n o A548 conformément aux art. 10 ss LPMNS (cf. cause 1C_275/2023).  
Les deux demandes précitées ont été rejetées par le Département du territoire (ci-après: DT), respectivement par le Conseil d'État, en octobre 2022; ces rejets ont été confirmés ce jour par le Tribunal fédéral (cf. causes 1C_274/2023 et 1C_275/2023). 
 
C.  
En décembre 2017, la propriétaire a déposé une demande d'autorisation de démolir les bâtiments (n o M 8052) et de construire à leur place des immeubles de 184 logements (n o DD 111'141).  
Dans le cadre de l'instruction de l'autorisation M 8052, l'ensemble des préavis recueillis s'est révélé favorable au projet de démolition. Les préavis recueillis pour l'autorisation DD 111'141 étaient également favorables, parfois sous réserve de certaines conditions. 
Le 31 août 2020, le DT a délivré l'autorisation de démolir M 8052 et l'autorisation de construire DD 111'141. 
Patrimoine Suisse Genève a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après: TAPI), qui a rejeté le recours. 
 
D.  
Patrimoine Suisse Genève a recouru contre le jugement du TAPI auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: CACJ). 
Par arrêt du 25 avril 2023, la CACJ a rejeté le recours. Elle a notamment considéré que les bâtiments ne constituaient pas un ensemble au sens des art. 89 ss de la loi genevoise du 14 avril 1988 sur les constructions et les installations diverses (LCI/GE; RS GE L 5 05), sans qu'il soit nécessaire d'ordonner des mesures d'instruction supplémentaires à cet égard. 
 
E.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, Patrimoine Suisse Genève demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la CACJ du 25 avril 2023, l'autorisation de démolir M 8052 et l'autorisation de construire DD 111'141. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause à la CACJ pour complément d'instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants. 
La CACJ s'en rapporte à justice s'agissant de la recevabilité et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le DT conclut au rejet du recours et s'en rapporte à justice quant à la recevabilité. L'intimée conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt attaqué et des autorisations M 8052 et DD 111'141. La recourante et l'intimée ont ensuite persisté dans leurs conclusions respectives. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis. 
 
1.1. La voie du recours en matière de droit public au sens des art. 82 ss LTF est en principe ouverte contre une décision prise par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.  
 
1.2. Il y a lieu d'examiner si Patrimoine Suisse Genève, qui ne fait pas partie des organisations habilitées à recourir en vertu de l'art. 12 de la loi fédérale sur 1 er juillet 1966 sur la protection de la nature (LPN; RS 451), dispose de la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF.  
 
1.2.1. Pour satisfaire aux critères de l'art. 89 al. 1 LTF, la partie recourante doit se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d'être prise en considération avec l'objet de la contestation. Elle doit en outre retirer un avantage pratique de l'annulation ou de la modification de la décision contestée qui permette d'admettre qu'elle est touchée dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l'intérêt général, de manière à exclure l'action populaire (cf. ATF 144 I 43 consid. 2.1; 137 II 30 consid. 2.2.3 et 2.3). Il incombe à la partie recourante d'alléguer les faits propres à fonder sa qualité pour agir lorsqu'ils ne ressortent pas à l'évidence de la décision attaquée ou du dossier de la cause (ATF 139 II 499 consid. 2.2; 133 II 249 consid. 1.1).  
S'agissant plus particulièrement d'une association jouissant de la personnalité juridique, elle est autorisée à former un recours en matière de droit public en son nom propre lorsqu'elle est touchée dans ses intérêts dignes de protection au sens de la jurisprudence précitée. De même, sans être elle-même touchée par la décision entreprise, une association peut être admise à agir par la voie du recours en matière de droit public (nommé alors recours corporatif), pour autant qu'elle ait pour but statutaire la défense des intérêts dignes de protection de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d'entre eux et, enfin, que chacun de ceux-ci ait qualité pour s'en prévaloir à titre individuel. En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l'un de ses membres ou pour une minorité d'entre eux (ATF 137 II 40 consid. 2.6.4; 133 V 239 consid. 6.4). 
 
1.2.2. En l'espèce, Patrimoine Suisse Genève ne démontre pas, comme il lui appartenait pourtant de le faire, qu'elle serait directement touchée dans ses intérêts propres et dignes de protection de la même manière qu'un particulier. Au demeurant, rien n'indique que l'arrêt attaqué la toucherait plus que la généralité des administrés ou toute autre personne témoignant d'un intérêt marqué pour la préservation du patrimoine. On ne voit ainsi pas quelle utilité pratique l'annulation de l'arrêt lui procurerait, étant précisé que l'intérêt général à une application correcte du droit est insuffisant en soi à lui reconnaître la qualité pour agir (ATF 145 V 128 consid. 2.1; arrêt 1C_283/2021 du 21 juillet 2022 consid. 3.2.2). Patrimoine Suisse Genève ne prétend pas non plus qu'elle remplirait les conditions du recours corporatif; elle ne fournit en particulier aucune indication sur la qualité pour agir de ses membres. Elle ne remplit donc pas les conditions de l'art. 89 al. 1 LTF et ne dispose dès lors pas de la qualité pour attaquer la décision sur le fond.  
En revanche, bénéficiant d'un droit de recours sur le plan cantonal, elle peut se plaindre d'une violation de ses droits de partie à la procédure équivalant à un déni de justice formel, susceptible d'être séparé du fond (ATF 148 IV 82 consid. 6; 141 IV 1 consid. 1.1). 
 
2.  
Lorsqu'une partie n'a pas la qualité pour agir sur le fond, elle ne peut se prévaloir d'une violation de ses droits de partie qu'en présence d'un déni de justice formel (cf. consid. 1.2 ci-dessus). Dans ce cadre, elle peut faire valoir que son recours a été déclaré à tort irrecevable, qu'elle n'a pas été entendue, qu'on ne lui a pas donné l'occasion de présenter ses moyens de preuve ou qu'elle n'a pas pu prendre connaissance du dossier. Elle ne saurait toutefois se plaindre ni de l'appréciation des preuves, ni du rejet de ses propositions si l'autorité retient que les preuves offertes sont impropres à ébranler sa conviction, dès lors que ces griefs sont indissociablement liés à l'examen du fond (ATF 148 IV 82 consid. 6; 136 IV 41 consid. 1.4). 
La recourante se plaint d'une violation du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.). Elle reproche à l'autorité précédente de ne pas avoir donné suite aux mesures d'instruction qu'elle estimait nécessaires pour établir que les bâtiments visés par l'autorisation de démolir répondaient à la notion d'ensemble des art. 89 ss LCI/GE. En réalité, sa critique, dont la motivation est au demeurant lacunaire, vise à démontrer que les bâtiments concernés par l'autorisation de démolir répondaient à la notion d'ensemble des art. 89 ss LCI/GE. Elle revient à se plaindre du fait que l'autorité précédente a rejeté ses offres de preuves, se considérant comme suffisamment renseignée pour statuer en l'état du dossier. Par conséquent, ce grief ne peut être séparé du fond et ne saurait fonder la qualité pour recourir de la recourante (ATF 114 Ia 307 consid 3c). 
 
3.  
Il découle de ce qui précède que le recours doit être déclaré irrecevable. Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner les autres griefs soulevés. 
Les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 66 al. 1 et 5 LTF). L'intimée, qui a obtenu gain de cause à l'aide d'un mandataire, a droit à des dépens, à charge de la recourante (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
La recourante versera à l'intimée la somme de 2'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, ainsi qu'au Département du territoire et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 24 mai 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Rouiller