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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_373/2023  
 
 
Arrêt du 24 avril 2024  
I  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, Présidente, Hohl et May Canellas, 
Greffière Mme Monti. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Jacques Barillon, avocat, 
demanderesse et recourante, 
 
contre  
 
B.________ AG, 
représentée par Me Louis Burrus, avocat, 
défenderesse et intimée. 
 
Objet 
LDIP; exception d'incompétence, 
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 7 juin 2023 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (C/8160/2020; ACJC/744/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ est une personne physique domiciliée à..., en Arabie saoudite. On ignore sa nationalité et son activité professionnelle.  
B.________ AG est une société anonyme de droit suisse créée en 2014, sise à Zurich. Elle est une filiale de l'entité de droit suisse C.________ AG. 
B.________ AG a plusieurs centaines d'agences sur le territoire suisse dans lesquelles elle dispense des services bancaires, dont l'agence située à l'adresse..., à Carouge (GE). Celle-ci ne figure pas au registre du commerce genevois, non plus que d'autres agences. 
 
A.b. Le 26 mai 2005, A.________ (ci-après: la demanderesse) a conclu un accord intitulé Share Purchase Agreement ( SPA) avec la banque D.________, jadis filiale étrangère de C.________ AG et jouant ici le rôle d'agent. L'accord prévoyait d'investir dans un fonds de placement immobilier et la demanderesse devait acquérir des parts pour 1'750'000 euros dans deux sociétés étrangères; l'accord SPA était soumis au droit et à la compétence des tribunaux des ÎIes Caïmans. La banque précitée (soit D.________, ci-après D.________) assumait un mandat de gestion de la propriété immobilière sous-jacente, détenue par une société française, en vertu d'un " Asset Management Agreement " (ci-après: le mandat de gestion) conclu le 26 mai 2005 entre ladite société française et D.________. Ce mandat de gestion était soumis au droit suisse et prévoyait un for à Zurich.  
 
A.c. Dans le courant de l'année 2006, en vue de la dissolution de la banque D.________ et de son intégration au sein de C.________ AG, cette dernière a repris les engagements de D.________ résultant notamment dudit mandat de gestion.  
En janvier 2015, l'entité de droit suisse précitée a informé la demanderesse que ses comptes bancaires seraient repris par B.________ AG, société créée peu avant. 
Le mandat de gestion qui avait été repris par C.________ AG a été résilié en 2017. 
Au début de l'année 2018, B.________ AG (ci-après: la banque défenderesse) a annoncé à la demanderesse qu'elle entendait liquider le fonds d'investissement pré-mentionné. La demanderesse pouvait espérer récupérer 24'500 fr. 
 
B.  
 
B.a. A.________ a tout d'abord déposé une vaine requête de conciliation le 1er mai 2020, puis une demande en paiement le 2 décembre 2020, à l'encontre de B.________ AG, par-devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Elle y réclamait 1'845'488 fr. 75 plus intérêts, ainsi que des arriérés de dividendes totalisant au minimum 700'000 fr.  
Après avoir requis et obtenu la fourniture de sûretés en garantie des dépens (par 57'000 fr.), la banque défenderesse B.________ AG a excipé de l'incompétence ratione loci des tribunaux genevois, par courrier du 20 août 2021. Elle a également contesté avoir la légitimation passive et sollicité du tribunal saisi qu'il limite la procédure à ces deux questions - ce que ladite instance a fait.  
Dans sa réponse (ainsi circonscrite) du 12 novembre 2021, la banque défenderesse a conclu principalement à ce que le tribunal constate qu'elle n'avait pas la légitimation passive et, subsidiairement, à ce qu'il se déclare incompétent. Elle a ensuite modifié l'ordre de ses conclusions dans une écriture ultérieure, soit des déterminations du 25 février 2022, où elle a conclu, principalement, à ce que le tribunal saisi constate son incompétence et déclare la demande irrecevable, subsidiairement, à ce que ledit tribunal retienne son défaut de légitimation passive pour rejeter la demande. La demanderesse n'avait pas manqué de faire des remarques sur ce mode de faire, soit sur l'ordre choisi. 
Par jugement du 6 septembre 2022, le Tribunal de première instance du canton de Genève s'est déclaré incompétent ratione loci et a décrété en conséquence la demande irrecevable.  
Il a notamment considéré que la banque défenderesse n'avait pas d'établissement dans le canton de Genève, n'en avait pas non plus donné l'apparence, avait excipé de l'incompétence des tribunaux genevois "dès son premier acte de procédure" et n'avait pas tacitement accepté leur compétence en contestant "parallèlement" sa légitimation passive, même si cette dernière question relevait du fond. 
 
B.b. Statuant le 7 juin 2023, la Cour de justice a confirmé cette décision et rejeté l'appel de la demanderesse.  
 
C.  
La demanderesse A.________ interjette un recours en matière civile par lequel elle prie le Tribunal fédéral de déclarer compétent ratione loci le Tribunal de première instance genevois pour connaître de sa demande et statuer au fond.  
La banque défenderesse, intimée à ce recours, n'a pas été invitée à se déterminer. 
L'autorité précédente a produit le dossier de la clause. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Les conditions générales de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment en ce qui a trait au respect du délai (art. 100 al. 1 LTF) et à la valeur litigieuse d'au moins 30'000 fr. au fond (art. 51 al. 1 let. a LTF cum art. 74 al. 1 let. b LTF).  
Demeure réservée, à ce stade, la recevabilité des griefs en particulier. 
 
2.  
 
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été arrêtés de façon manifestement inexacte - c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst., ATF 140 III 115 consid. 2 p. 117 - ou en violation du droit défini à l'art. 95 LTF (cf. art. 97 al. 1 LTF et art. 105 al. 2 LTF).  
Conformément au principe de l'allégation ancré à l'art. 106 al. 2 LTF, la partie qui croit discerner un arbitraire dans les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et par le détail en quoi ce vice serait réalisé (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées; cf. en outre par ex. arrêt 5A_129/2007 du 28 juin 2007 consid. 1.4 in fine). Si elle aspire à faire compléter cet état de faits, elle doit démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes les faits juridiquement pertinents et les moyens de preuve adéquats, en se conformant aux règles de procédure (ATF 140 III 86 consid. 2). La cour de céans ne saurait prendre en compte des affirmations appellatoires et/ou qui s'écarteraient de la décision attaquée sans satisfaire aux exigences précitées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1; cf. en outre par ex. arrêt 4A_396/2022 du 7 novembre 2023 consid. 2.1).  
 
2.2. Dans le cas présent, la cour de céans ne discerne dans le mémoire de recours aucune critique valable contre l'état de faits retenu dans l'arrêt attaqué. N'en déplaise à la recourante, le Tribunal fédéral n'entend pas, en l'espèce, statuer au fond (cf. notamment consid. 3.2 infra), de sorte qu'il n'y a de toute façon pas matière à compléter l'état de faits à cette fin, une simple redite de ce qui a déjà été soutenu en appel ne démontrant pas nécessairement que l'intéressée a allégué les faits en temps utile, au demeurant. Et la recourante tente vainement, soit sans satisfaire aux réquisits brièvement rappelés ci-dessus, ni même se plaindre d'un quelconque arbitraire, de démontrer que la procédure aurait été mal, ou insuffisamment, retracée dans l'arrêt attaqué. En particulier, le courrier du 20 août 2021 (et non du 21 août, comme elle le plaide dans son mémoire) est bel et bien mentionné dans l'arrêt entrepris, tout comme les écritures du 12 novembre 2021, respectivement du 25 février 2022. Et la cour de céans ne discerne nul arbitraire dans la façon dont sont présentées ces écritures.  
 
2.3. Le Tribunal fédéral applique en principe le droit d'office à l'état de faits constaté dans l'arrêt cantonal (cf. art. 106 al. 1 LTF). Cela ne signifie pas qu'il examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient encore se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que des questions soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2, 86 consid. 2). Il n'est en revanche pas lié par l'argumentation juridique développée par les parties ou par l'autorité précédente; il peut admettre le recours, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4; cf. en outre par ex. arrêt précité 4A_396/2022 consid. 2.2).  
 
3.  
Le litige porte sur la compétence ratione loci des autorités judiciaires genevoises. L'arrêt attaqué applique à juste titre la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP), compte tenu du fait que la demanderesse est domiciliée en Arabie saoudite, ce qui confère à la cause un caractère international (art. 1 al. 1 LDIP; ATF 149 III 379 consid. 4.1; 141 III 294 consid. 4; 135 III 185 consid. 3.1; 131 III 76 consid. 2.3). Nul ne le conteste.  
 
3.1. La Cour cantonale a considéré que, en vertu de l'art. 2 LDIP, les autorités judiciaires suisses du domicile de la défenderesse étaient compétentes. Comme le siège de la défenderesse se trouvait à Zurich, les tribunaux zurichois auraient dû être saisis. Ce défaut de compétence entraînait l'irrecevabilité de la demande.  
La recourante soutenait que ce raisonnement était erroné et que les tribunaux genevois étaient compétents, mais aucun des trois griefs qu'elle adressait au jugement de première instance ne résistait à l'examen. 
Premièrement, l'intimée n'avait pas procédé au fond sans faire de réserve au sens de l'art. 6 LDIP; ceci ressortait sans ambiguïté de la procédure. La défenderesse avait pris, d'entrée de cause et dans sa première écriture par devant le juge de première instance, des conclusions tant en rejet qu'en irrecevabilité du fait de l'incompétence du tribunal. Elle avait dès lors soulevé le déclinatoire de compétence avant ou au plus tard en même temps qu'elle avait pris des conclusions en rejet de l'action, indépendamment de l'ordre dans lequel ses conclusions se présentaient, qui avait d'ailleurs été rectifié ultérieurement. 
Deuxièmement, les règles de compétence découlant de la protection des consommateurs n'étaient pas applicables. L'opération financière considérée, tant par son ampleur (plus d'un million de francs), sa complexité (achat de parts d'investisseurs dans un fonds) que par son caractère d'investissement international, sortait manifestement du champ d'application de l'art. 120 LDIP
Troisièmement, les règles de compétence en matière d'acte illicite (art. 129 LDIP) ne trouvaient pas non plus application. La recourante n'avait pas invoqué d'acte illicite de l'intimée susceptible de fonder le for d'une action délictuelle. Certes, le tribunal appliquait le droit d'office, comme la recourante l'avait souligné, mais il le faisait sur la base des faits allégués par les parties et qui formaient le cadre du litige. Or, dans le cas présent, ces faits ressortaient exclusivement à une relation contractuelle ou prétendue telle. Au surplus, ce n'était pas l'intimée, mais C.________ AG - à savoir un tiers - qui avait repris les engagements de D.________. La question de savoir si l'intimée disposait d'un établissement à Genève, qui ancrerait l'action dans ce canton, pouvait ainsi demeurer indécise. 
 
3.2. Le recours s'articule exclusivement autour de l'art. 6 LDIP. La recourante affirme que l'intimée aurait procédé au fond sans faire de réserve; elle soutient également que l'intimée disposerait d'un établissement à Genève, ce qui ferait obstacle au déclinatoire de compétence.  
 
4.  
 
4.1. Aux termes de la règle de compétence internationale et locale de l'art. 2 LDIP, le défendeur doit être recherché devant le juge de son domicile. Cet article a une valeur subsidiaire par rapport aux fors du domicile contenus dans la partie spéciale. Son objectif consiste à combler les lacunes éventuelles de la LDIP et à garantir le for du juge naturel pour tous les cas non prévus (cf. Message du 10 novembre 1982 concernant une loi fédérale sur le droit international privé [loi de DIP], FF 1983 I 289 ch. 213.2).  
Le for du juge naturel ne joue pas seulement pour les personnes physiques, mais également pour les personnes morales et les sociétés. L'art. 21 al. 1 LDIP précise d'ailleurs que, pour les sociétés et pour les trusts au sens de l'art. 149a, le siège vaut domicile (s'agissant du for d'une demande de renseignements et de pièces dirigée contre une banque, au siège de celle-ci, cf. arrêt 5C.157/2003 du 22 janvier 2004 consid. 5.3). 
 
4.2. L'art. 6 LDIP prévoit qu'en matière patrimoniale, le tribunal devant lequel la partie défenderesse procède au fond sans faire de réserve est compétent, à moins qu'il ne décline sa compétence dans la mesure où l'art. 5 al. 3 LDIP le lui permet.  
 
4.2.1. Cette disposition concerne tout à la fois la compétence internationale (ou générale) et locale du tribunal saisi (Message précité, FF 1983 I 293 ch. 213.7; VASELLA/KUNZ, in Commentaire bâlois, 4e éd. 2021, n° 5 et n° 18 ad art. 6 LDIP; HANS REISER, Gerichtsstandsvereinbarungen nach dem IPR-Gesetz, Zurich 1989, p. 29).  
 
4.2.2. Selon la jurisprudence, l'acceptation tacite du for est acquise à la partie demanderesse lorsque l'adverse partie a manifesté de manière exempte d'équivoque son intention de se défendre sur le fond plutôt que sur la compétence (principe de l'acceptation tacite; Einlassungsprinzip; ATF 123 III 35 consid. 3b; arrêt 4A_229/2018 du 12 octobre 2018 consid. 10). Cette partie doit s'être comportée de telle manière, relativement à la demande en justice, que l'exception d'incompétence apparaisse soulevée de manière contraire aux exigences de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC), qui régit l'ensemble des domaines du droit (cf. ATF 87 I 131; 67 I 105 consid. 3, relatifs à l'art. 59 aCst.). Il faut que le défendeur soit entré en matière, c'est-à-dire qu'il ait procédé à un acte de défense tendant directement au rejet de l'action au fond.  
Cette condition se retrouve dans plusieurs autres dispositions légales. 
Selon l'art. 186 al. 2 LDIP (arbitrage), l'exception d'incompétence doit être soulevée préalablement à toute défense sur le fond. En relation avec cette disposition légale, le Tribunal fédéral a précisé que le défendeur peut se déterminer à titre éventuel sur le fond, pour le cas où l'exception d'incompétence ne serait pas admise, sans que pareil comportement vaille acceptation tacite de la compétence du tribunal arbitral (ATF 143 III 462 consid. 2.3; 128 III 50 consid. 2c/aa; arrêt 4A_287/2019 du 6 janvier 2020 consid. 3.2). 
L'art. 18 CPC dispose lui aussi que, sauf disposition contraire de la loi, le tribunal saisi est compétent ratione loci lorsque le défendeur procède sans faire de réserve sur la compétence (anciennement, art. 10 al. 1 LFors). Le juge doit uniquement vérifier qu'aucun for impératif ou semi-impératif ne s'oppose à une acceptation tacite de la compétence du tribunal saisi. Ainsi, si le défendeur conteste la compétence locale avant de prendre position sur le fond, ou à tout le moins en même temps, une acceptation tacite ne sera pas retenue (arrêt 4C.2/2006 du 21 mars 2006 consid. 3.4). L'exception d'incompétence doit être invoquée principalement et sans condition (ATF 123 III 35 consid. 3b). Le défendeur ne peut pas se contenter d'invoquer subsidiairement l'incompétence du tribunal saisi, une acceptation tacite devant le cas échéant être retenue; tel est le cas s'il formule une réserve à titre subsidiaire, pour le cas où sa légitimation passive devait être admise (arrêts 4A_455/2012 du 8 novembre 2012 consid. 3; 4C.2/2006 précité consid. 3.4).  
 
4.2.3. Quant à la référence à l'art. 5 al. 3 LDIP, elle appelle les considérations suivantes.  
L'art. 5 LDIP traite de l'élection (expresse) de for. Cette règle prévoit en substance qu'en matière patrimoniale, les parties peuvent convenir du tribunal appelé à trancher un différend né ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé (al. 1). Selon l'alinéa 3, le tribunal élu ne peut pas décliner sa compétence si une partie est domiciliée, a sa résidence habituelle ou un établissement dans le canton où il siège (art. 5 al. 3 let. a LDIP) ou si, en vertu de la présente loi, le droit suisse est applicable au litige (art. 5 al. 3 let. b LDIP). 
Cet alinéa, amendé par le Parlement sur un point ("établissement dans le canton où il siège" et non plus "établissement en Suisse", comme proposé par le Conseil fédéral) au terme d'un certain nombre de discussions (BO CN 1986 p. 1302; BO CE 1987 p. 506 et BO CN 1987 p. 1067 s.), est le fruit d'un compromis entre ceux qui souhaitaient favoriser la Suisse comme place d'arbitrage international, quitte à ce que le litige ne présente que des liens ténus, voire aucun lien du tout avec l'ordre juridique suisse, et ceux qui craignaient la surcharge des tribunaux suisses (cf. Message précité, FF 1983 I 292 s. ch. 213.6). Au final, la liberté des tribunaux suisses de refuser d'entrer en matière lorsqu'ils ont été choisis par les parties a été limitée, lorsque le litige présente un lien qualifié avec la Suisse (BO CN 1987 p. 1068). 
En soi, l'obligation faite au tribunal suisse élu d'accepter la prorogation de for valable au fond et à la forme n'est donc pas absolue, même si la pratique ne le reflète pas (DUTOIT/BONOMI, Droit international privé suisse: commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 6ème éd. 2022, ch. 14 ad art. 5 LDIP). Ce n'est qu'en présence d'un lien qualifié avec la Suisse, tel que défini par l'art. 5 al. 3 LDIP, que la prorogation de for s'impose à ce tribunal (ANDREAS BUCHER, in Commentaire romand, 2011, n° 6 ad art. 6 LDIP; ANTON K. SCHNYDER, Das neue IPR-Gesetz [...], 2e éd. 1990, p. 24 n. 5). La doctrine souligne encore que l'art. 5 al. 3 LDIP autorise le juge à se montrer plus large et accepter sa compétence dans d'autres hypothèses que celles qui sont indiquées (Paul VOLKEN, IPRG Kommentar, 1993, n° 40 ad art. 5 LDIP; Bucher, op. cit., n° 40 ad art. 5 LDIP; Hans Ulrich WALDER, Einführung in das Internationale Zivilprozessrecht der Schweiz, 1989, § 5 ch. 23). 
La référence à l'art. 5 al. 3 LDIP, contenue à l'art. 6 LDIP, obéit à la même logique (cf. Message précité, FF 1983 I 293 ch. 213.7). Le tribunal devant lequel le défendeur procède sans formuler de réserve dispose de la faculté de décliner sa compétence, à tout le moins dans la mesure où l'art. 5 al. 3 LDIP ne lui commande pas de se saisir de l'affaire (VASELLA/KUNZ, op. cit., n° 17 ad art. 6 LDIP; Bucher, op. cit., n° 6 ad art. 6 LDIP). Là encore, il s'agit de conditions minimales qui imposent au tribunal d'entrer en matière, s'il y a acceptation tacite du for par le défendeur; ceci signifie que, si elles ne sont pas réalisées, le tribunal devant lequel le défendeur procède sans faire de réserve peut tout de même se déclarer compétent ratione loci (DUTOIT/BONOMI, op. cit., ch. 5 ad art. 6 LDIP; VOLKEN, op. cit., n° 8 ad art. 6 LDIP).  
 
5.  
En l'espèce, la défenderesse intimée a excipé de l'incompétence ratione loci des tribunaux genevois par courrier du 20 août 2021. A ce stade, elle n'avait encore procédé à aucun acte de défense qui tende directement au rejet de l'action au fond. Dans cette écriture, la défenderesse sollicitait d'ailleurs l'annulation du délai imparti pour déposer sa réponse et la limitation de la procédure aux questions qu'elle soulevait, à savoir la compétence ratione loci des tribunaux genevois et sa légitimation passive.  
Certes, dans sa détermination du 12 novembre 2021, limitée aux deux questions susmentionnées, elle conclura principalement à ce qu'il soit constaté qu'elle était dépourvue de la légitimation passive - et donc au rejet de la demande en paiement - et subsidiairement au prononcé de l'irrecevabilité de ladite demande, le tribunal de première instance saisi s'avérant incompétent ratione loci. Cela étant, cette écriture est intervenue ultérieurement, ce qui distingue fondamentalement la présente cause de celles qui ont été tranchées par le passé (arrêts précités 4A_455/2012 consid. 3 et 4C.2/2006 consid. 3.4). En d'autres termes, cette écriture n'enlève rien au fait que la défenderesse avait soulevé l'exception d'incompétence avant toute défense au fond.  
Que la défenderesse ait, ultérieurement encore, modifié ses conclusions ne change rien à ce qui précède. Il n'est donc pas crucial de déterminer si elle était en droit, dans son écriture du 24 février 2022, d'inverser l'ordre des conclusions formulées le 12 novembre précédent, en concluant principalement à ce que la demande soit déclarée irrecevable, et subsidiairement à ce qu'elle soit rejetée. Est seul déterminant le fait qu'elle ait soulevé d'entrée de cause l'exception de compétence ciblée, le 20 août 2021. 
Cela étant, celle-ci ne l'a pas été de manière contraire aux exigences de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et le grief corrélatif de la recourante doit être rejeté. 
Quant à l'argumentation relative à la présence, ou à tout le moins l'apparence, d'un établissement de l'intimée à Genève, elle n'a pas de portée autonome. En d'autres termes, fût-il établi qu'un tel établissement ne fonderait pas la compétence ratione loci des tribunaux genevois. Selon l'art. 2 LDIP en relation avec l'art. 21 al. 1 LDIP, c'est le siège qui vaut domicile pour une personne morale, non l'établissement. La recourante ne soutient d'ailleurs pas le contraire, pas plus qu'elle ne prétend que la compétence à raison d'un établissement à Genève se fonderait sur une autre disposition de la LDIP. Il est par ailleurs clair que la référence à l'art. 5 al. 3 LDIP, contenue à l'art. 6 LDIP, vise uniquement à brider la liberté du tribunal de décliner sa compétence si et pour autant qu'il y ait acceptation tacite du for par le défendeur. En d'autres termes, lorsque cette acceptation fait défaut, il n'importe de savoir si le défendeur a - ou non - un établissement dans le canton en cause: l'art. 6 LDIP ne s'applique pas (cf. consid. 4.2.3 supra).  
Il n'y a dès lors aucune violation du droit fédéral qui entache le jugement querellé. 
 
6.  
En définitive, le recours doit être rejeté. 
Les frais judiciaires sont à la charge de la recourante, qui ne versera aucuns dépens à la partie intimée puisque celle-ci n'a pas eu à se déterminer. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, par 10'000 fr., sont à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 24 avril 2024 
 
Au nom de la I re Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
La Greffière : Monti