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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
7B_619/2024  
 
 
Arrêt du 9 juillet 2024  
 
IIe Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président, 
et Hofmann. 
Greffière : Mme Nasel. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Delio Musitelli, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Neuchâtel, passage de la Bonne-Fontaine 41, 2300 La Chaux-de-Fonds. 
 
Objet 
Détention pour des motifs de sûreté, 
 
recours contre la décision de la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 23 mai 2024 (CPEN.2023.71/ca). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 25 mai 2023, le Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz (ci-après: le Tribunal criminel) a condamné A.________ pour actes d'ordre sexuel avec un enfant (art. 187 CP), contraintes sexuelles (art. 189 CP), viols (art. 190 CP) et voies de fait (art. 126 CP) à une peine privative de liberté de 4 ans et 3 mois; il a également ordonné son expulsion obligatoire pour une durée de 5 ans. 
 
B.  
Par jugement du 22 mai 2024, dont la motivation est en cours de rédaction, la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: la Cour pénale) a confirmé le jugement précité et a ordonné l'arrestation immédiate de A.________. 
Par décision séparée du 23 mai 2024, la Cour pénale a ordonné la mise en détention immédiate pour des motifs de sûreté de A.________. 
 
C.  
Par acte du 4 juin 2024, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cette dernière décision. Il conclut à sa libération avec effet immédiat et à la prolongation durant trois mois des mesures de substitution suivantes, en lieu et place de la détention pour des motifs de sûreté: 
 
- obligation de poursuivre le traitement thérapeutique entrepris; 
- interdiction de tout rapprochement de quelque manière que ce soit avec B.________, hors du cadre de ses obligations professionnelles et de son domicile actuel; 
- interdiction d'entretenir des relations avec des mineurs, à l'exception de ses enfants dont il a la garde et de ses petits-enfants; 
- obligation de se tenir à disposition des autorités pénales cantonales et de se présenter lors de toutes convocations ainsi que d'indiquer au greffe du Tribunal cantonal tout changement d'adresse éventuel en mentionnant le numéro de procédure le concernant; 
- ordonner le dépôt de son passeport et de ses autres pièces d'identité à l'Office d'exécution des sanctions et de probation; 
- charger le Service pénitentiaire, par l'Office d'exécution des sanctions et de probation, de surveiller le respect des mesures de substitution précitées et de signaler sans délai leur éventuel non-respect au Tribunal de céans. 
A.________ sollicite par ailleurs l'assistance judiciaire. 
Invités à se déterminer sur le recours, la Cour pénale n'a pas formulé d'observations, se référant à sa décision, tandis que le Ministère public de la République et canton de Neuchâtel a conclu au rejet du recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière pénale (art. 78 ss LTF) est ouvert contre les décisions rendues en matière pénale, dont font partie les décisions relatives à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP (ATF 137 IV 22 consid. 1). Le recourant - actuellement détenu - a qualité pour recourir (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF) contre une décision rendue en instance cantonale unique (art. 232 al. 2, 380 CPP et 80 al. 2in fine LTF; arrêts 1B_274/2018 du 25 juin 2018 consid. 1; 1B_178/2017 du 24 mai 2017 consid. 1), laquelle est susceptible de lui causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (arrêt 7B_573/2024 du 7 juin 2024 consid. 1). Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité étant réunies, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
Une mesure de détention provisoire ou pour des motifs de sûreté n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un risque de fuite, un danger de collusion ou de réitération (cf. art. 221 al. 1 let. a, b et c et al. 1 bis let. b CPP). En tout état de cause, il doit exister des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité, à l'égard de l'intéressé (art. 221 al. 1 et al. 1bis let. a CPP).  
 
3.  
 
3.1. Si le recourant reconnaît avoir commis les faits qui lui sont reprochés, il conteste toutefois "certaines qualifications juridiques", sans pour autant étayer sa position ni soutenir que la condition des charges suffisantes posée à l'art. 221 al. 1 CPP (sur cette notion, ATF 143 IV 330 consid. 2.1; arrêt 7B_172/2022 du 21 mars 2024 consid. 3.2, destiné à la publication) ne serait pas réalisée, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner plus avant cette question.  
 
 
3.2. Le recourant se plaint ensuite d'une constatation inexacte des faits (art. 97 LTF) et d'une violation de l'art. 221 al. 1 let. a CPP; il reproche à l'autorité précédente d'avoir ordonné, lors du jugement d'appel, sa détention pour des motifs de sûreté et, en particulier, d'avoir considéré que les mesures de substitution mises en oeuvre jusqu'alors n'étaient plus suffisantes pour pallier le risque de fuite retenu.  
 
3.3.  
 
3.3.1. Lors du prononcé du jugement en appel, la juridiction doit, à l'instar du tribunal de première instance, se prononcer sur la question de la détention. En effet, si l'autorité d'appel entre en matière, son jugement se substitue à celui de première instance (art. 408 CPP); il y a lieu dès lors d'appliquer mutatis mutandis l'art. 231 CPP et de décider si le condamné doit être placé ou maintenu en détention pour garantir l'exécution de la peine ou en prévision d'un éventuel recours, pour autant que les conditions de l'art. 221 CPP soient satisfaites. La juridiction d'appel peut ainsi prononcer le maintien de la détention pour des motifs de sûreté, ou ordonner une mise en détention en se fondant sur l'art. 232 CPP (ATF 139 IV 277 consid. 2.2; arrêt 1B_439/2016 du 8 décembre 2016 consid. 2.1).  
 
3.3.2. Selon la jurisprudence, le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible mais également probable. Le fait que le risque de fuite puisse se réaliser dans un pays qui pourrait donner suite à une requête d'extradition de la Suisse n'est pas déterminant pour nier le risque de fuite. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé. Néanmoins, même si cela ne dispense pas de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes, la jurisprudence admet que lorsque le prévenu a été condamné en première instance à une peine importante - et a fortiori lorsque celle-ci a été confirmée en seconde instance -, le risque d'un long séjour en prison apparaît plus concret que durant l'instruction (ATF 145 IV 503 consid. 2.2). Le risque de fuite s'étend également au risque de se soustraire à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en tombant dans la clandestinité à l'intérieur du pays (ATF 143 IV 160 consid. 4.3).  
 
 
3.3.3. En l'espèce, le recourant semble certes intégré professionnellement en Suisse, pays dans lequel il vit depuis de nombreuses années et dans lequel il a des attaches familiales (son épouse et ses deux filles y vivent également). La décision attaquée constate en outre qu'il s'est présenté devant le Tribunal criminel et la Cour pénale, respectivement qu'il a toujours respecté les mesures de substitution prononcées durant la procédure, sans jamais tenter de se soustraire à la justice. Un élément nouveau est toutefois intervenu depuis, lequel peut constituer un motif de détention apparu au cours de la procédure au sens de l'art. 232 al. 1 CPP (ATF 139 IV 277 consid. 2.2; 138 IV 81 consid. 2.1; arrêt 1B_60/2016 du 7 mars 2016 consid. 2.3). En effet, la Cour pénale a rendu le 22 mai 2024 un jugement, confirmant le jugement de première instance tant par rapport à la condamnation pour de graves infractions que par rapport à la lourde peine privative de liberté ferme prononcée. Il s'ensuit que le recourant se trouve désormais confronté à la possibilité concrète de passer plusieurs années en prison. Certes, le jugement sur appel n'est pas encore définitif. Il constitue toutefois un indice supplémentaire de la peine susceptible de devoir être exécutée (ATF 143 IV 168 consid. 5.1). Dès lors, la situation est, quoi qu'en dise le recourant, radicalement différente de celle qui prévalait avant le 22 mai 2024. En effet, il pouvait alors encore espérer, compte tenu de ses dénégations concernant certaines qualifications juridiques, une peine plus clémente voire un acquittement en lien avec celles-ci.  
De plus, il ressort de la décision entreprise que le recourant est de nationalité française, à l'instar de son épouse, et qu'il a encore des liens solides avec la France, où il a vécu les 22 premières années de sa vie, effectué sa formation et occupé divers emplois, et où réside le reste de sa famille (une de ses filles, sa mère et ses frère et soeurs). A cela s'ajoute que son épouse est atteinte dans sa santé et qu'elle dépend totalement de lui tant sur le plan financier que pour les tâches quotidiennes, ce qui pourrait, comme l'a retenu la Cour pénale, amener le recourant à vouloir quitter le pays pour continuer à en prendre soin, avec ses filles. 
Au demeurant, il apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances évoquées, qu'un départ à l'étranger, voire une entrée dans la clandestinité, même sans ressources particulières, pourraient constituer, aux yeux du recourant, des alternatives préférables à celle de devoir affronter l'éventualité d'une longue incarcération, ce d'autant que la peine a été assortie d'une expulsion obligatoire. La bonne collaboration et prise de conscience du recourant mises en exergue par les intervenants, respectivement le Centre neuchâtelois de psychiatrie (cf. recours, p. 5 et 6), ne sont pas de nature à modifier cette appréciation. 
 
3.4.  
 
3.4.1. Conformément au principe de la proportionnalité ancré à l'art. 36 al. 3 Cst., il convient d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (règle de la nécessité). Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention.  
 
3.4.2. En l'espèce, vu l'intensité du danger de fuite retenu, c'est avec raison que la Cour pénale a considéré qu'aucune mesure de substitution n'entrait en considération. En particulier, le dépôt des documents d'identité du recourant n'est pas de nature à empêcher ce dernier de s'enfuir à l'étranger, voire de passer dans la clandestinité (ATF 145 IV 503 consid. 3.2 et 3.3.2). Certaines des mesures proposées reposent au demeurant uniquement sur la volonté du recourant de s'y soumettre (l'obligation de se tenir à disposition des autorités pénales cantonales, de se présenter lors de toutes convocations et d'indiquer tout changement d'adresse éventuel), ce qui n'offre aucune garantie qu'il s'y conformerait. Quant aux autres mesures proposées (telles que l'obligation de poursuivre le traitement thérapeutique entrepris, l'interdiction de tout rapprochement avec B.________ et d'entretenir des relations avec des mineurs, respectivement la surveillance par le Service pénitentiaire du respect de l'ensemble de ces mesures), elles ne sont pas propres à prévenir le risque de fuite.  
Enfin, du point de vue temporel, compte tenu des infractions reprochées, de la peine prononcée en première instance, confirmée par la Cour pénale, et de la durée de la détention déjà subie, le principe de la proportionnalité demeure également respecté. 
 
3.5. En définitive, vu le risque de fuite existant et le défaut de mesures de substitution propres à le réduire, la Cour pénale pouvait, sans violer le droit fédéral, ordonner la mise en détention immédiate du recourant pour des motifs de sûreté.  
 
4.  
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est recevable. 
Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire (cf. art. 64 al. 1 LTF). Les conditions y relatives étant réunies, il y a lieu d'admettre cette requête et de désigner Me Delio Musitelli en tant qu'avocat d'office pour la procédure fédérale, ainsi que de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, qui sera supportée par la caisse du Tribunal fédéral (cf. art. 64 al. 2 LTF). Le recourant est toutefois rendu attentif à son obligation de rembourser la caisse du Tribunal fédéral s'il retrouve ultérieurement une situation financière lui permettant de le faire (cf. art. 64 al. 4 LTF). Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La requête d'assistance judiciaire est admise. 
 
2.1. Me Delio Musitelli est désigné comme défenseur d'office du recourant et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral.  
 
2.2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.  
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Neuchâtel, à la Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, et, pour information, au mandataire de B.________ et à l'Office d'exécution des sanctions et de probation du canton de Neuchâtel. 
 
 
Lausanne, le 9 juillet 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Abrecht 
 
La Greffière : Nasel